Extrait n°2 du livre "Bas les voiles !" publié par Chahdortt Djavan en 2003
Editions Gallimard, ISBN 2-07-073534-6

J'ai porté dix ans le voile. C'était le voile ou la mort. Je sais de quoi je parle.

J'ai vécu le totalitarisme islamique et les barbaries religieuses sous tous leurs aspects. Quand je suis arrivée en France, j'avais l'impression de ne pas être sur la même planète. J'avais le sentiment d'être comme quelqu'un qui débarquerait dans notre monde après avoir subi les tortures de l'Inquisition chrétienne au Moyen Âge. Je n'éprouve aucune indulgence pour la religion. En ce qui concerne la croyance, Dieu merci, je ne suis même pas athée. Simplement, j'ai conscience d'exister, conscience aussi de l'injustice qui règne sur cette terre, conscience de ce qu'est l'enfer sur terre. Dieu, s'il existe, c'est son affaire.
Le coran, lui, n'a aucun doute sur les frontières du mal et du bien. Ce qui n'est pas contenu dans Le coran est le mal absolu. Tout, le Tout, est dans Le coran. Le coran a pensé à tout, à l'être humain dans sa totalité, aux êtres humains de toutes conditions. En matière d'humanité, rien n'échappe au Coran ; en douter est en soi un péché, un sacrilège. La légitimité des trois religions monothéistes procède du fait que cette légitimité est divine, donc absolue et hors de toute discussion. Et comme Dieu, Allah et Yahvé se font rares, les croyants doivent obéir à leurs représentants sur terre.
La dévalorisation juridique et sociale de la femme dans l'islam, sa mise sous tutelle masculine va de pair avec son statut d'objet sexuel et ce statut lui-même a sa source dans Le Coran. Dans les pays musulmans, la femme selon les lois islamiques a besoin pour quitter le pays de l'autorisation de celui sous la tutelle de qui elle est placée, c'est-à-dire son mari ou à défaut son père, son frère, son oncle. La charia va plus loin : une femme n'a pas le droit de sortir du domicile conjugal sans l'autorisation de son mari ou de sa tutelle. La femme n'est jamais considérée comme une personne entière. En Iran, depuis 1998, les femmes n'ont plus le droit de circuler d'une ville à l'autre toutes seules. Et je parle bien des femmes, pas des adolescentes mineures.

Le Coran consacre de nombreuses pages au bas-ventre des hommes, à leur plaisir sexuel et au devoir des femmes d'assouvir le désir de leur mari. Le Coran aborde aussi le plaisir paradisiaque des hommes. Aux bons musulmans, et aux martyrs de l'islam, Le Coran réserve des houris éternellement belles, éternellement jeunes, éternellement vierges, revirginisées après chaque coït. Pour les hommes, c'est la réalisation d'un fantasme, l'orgasme infini, inlassable, et la fin d'une hantise, l'éjaculation précoce. J'imagine que les hommes seront des super-mâles, avec un pénis en acier, infatigable. Rien que du plaisir, de la jouissance, du bonheur. Je me demande si ce n'est pas grâce à ces sacrées promesses que les religieux croient à la sacralité du Coran. Quel homme ne rêve de ça ? Il suffit d'y croire.
Le Coran dit certes que « le paradis est sous les pieds des mères » mais n'évoque pour celles-ci aucun plaisir comparable à ceux qu'il réserve aux hommes. Comme le paradis n'est ouvert qu'aux mères et non aux infortunées femmes stériles, comme on ne peut forniquer avec la mère d'aucun homme (un « nique ta mère », dans les pays musulmans, peut se terminer en effusion de sang), peut-être les mères, au paradis, regardent-elles les hommes forniquer avec les houris...

Je vois d'ici l'indignation de quelques voilées nouveau style, de celles qui parlent haut et fort de leur liberté et de leur identité, mais ne plaisantent pas avec Le Coran. On en voit quelques-unes, dans la rue, dans le métro. Elles s'affichent. Elles affichent leur résolution, prêtes, on le sent, à répondre vertement aux questions que personne ne leur pose mais que leur regard, leur port de tête, leur assurance provocatrice appellent de toute évidence. Sans doute un jour ceux qui les inspirent nous proposeront-ils une nouvelle lecture du Coran (les monothéismes n'en finissent pas de se relire) pour nous persuader, vieille recette, qu'il faut savoir l'interpréter et au besoin y déchiffrer ce qui n'y est pas écrit. Mais on n'en est pas encore tout à fait là avec l'islam. On en reste aux signes extérieurs de richesse identitaire et aux lectures fondamentalistes. le voile est ma culture. le voile est ma liberté. Vieille rengaine qui date des années de la décolonisation : la liberté est une chose, disaient alors certains, mais la liberté culturelle en est une autre. On distinguait, avant d'en venir à les opposer, les droits de l'homme (individuel) et le droit des cultures (collectives). La justification intellectuelle de toutes les non-démocraties post-coloniales était ainsi trouvée. Et c'est au moment où l'on fait mine parfois de s'en inquiéter à l'échelle planétaire (bien sûr lorsque les intérêts économiques ou stratégiques des pays occidentaux sont en cause), qu'on entend sans broncher fredonner ce refrain dans nos banlieues.

Que des jeunes femmes adultes portent le voile, cela les regarde. Mais il y a dans l'attitude de beaucoup d'entre elles une double perversité. Le port du voile en France n'est pas le moyen de se fondre dans la foule anonyme, plutôt le moyen d'attirer le regard, de se faire remarquer, une forme d'exhibitionnisme, de provocation; femme objet et fière de l'être; femme objet sexuel, plus exactement. Cette perversité-là, encore une fois, est leur affaire. Mais elle n'est plus tout à fait leur affaire, je vous supplie d'y prêter attention, lorsqu'elle s'accompagne d'un message prosélyte à destination des plus jeunes, d'un message lui-même voilé parce qu'il dissimule sa vraie nature sous le voile des mots « liberté », « identité » ou « culture ».

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